Chronique des infinis : Objectif Mars
Chaque mois, Gwenhaël W. De Wasseige nous raconte à travers sa chronique des infinis les dernières actualités qui touchent l’univers et le domaine de l’infiniment petit.
Après la Seconde Guerre mondiale, le rêve que l'homme puisse s'évader vers la Lune devient l’objet de longs travaux scientifiques ce qui ouvre des boulevards à l'imagination de créateurs comme Hergé ! C'est donc l'actualité du moment qui a influencé le choix du père de Tintin d’envoyer ce dernier sur l'astre de la nuit. Pour ce voyage, il choisit la voie du réalisme scientifique en se documentant scrupuleusement. Aujourd'hui, les hommes convoitent la planète rouge... Mars est au centre de nombreuses recherches qui auraient probablement aussi inspiré l'illustre dessinateur en quête d'aventures pour son jeune héros.
Partons à la rencontre de Véronique Dehant. Mathématicienne et géophysicienne, elle cherche à comprendre pourquoi la Terre est habitable et Mars ne l’est pas. Ou plutôt ne l’est plus !
Lauréate du prix quinquennal en sciences exactes fondamentales du FNRS, qui lui a été remis des mains de sa Majesté le Roi il y a quelques semaines, la chercheuse de l’Observatoire Royal et professeure à l’UCLouvain a acquis une renommée internationale pour ses travaux sur la compréhension de l’intérieur profond des planètes. Partons à la découverte d’une belge d’exception.

Quelle est votre façon d’explorer d’autres planètes, comme Mars, tout en gardant les pieds sur terre ?
Véronique Dehant : Avec des robots ! Mon esprit mathématique me permet d’analyser les données enregistrées par des satellites et des instruments à bord de landers pour comprendre l’évolution des planètes. Entre autres choses, j’essaie de définir si le noyau des planètes, c'est-à -dire leur cœur, est liquide ou solide. Ma recherche est par contre indirecte, puisque je réponds à cette question en observant leur rotation (ndlr: et pas en creusant !).
L’intérieur des planètes va donc définir comment celles-ci tournent sur elles-mêmes ? Avons-nous bien suivi ?
C’est tout à fait ça - une bonne illustration de ce phénomène se fait avec un œuf cru et un œuf cuit dur. Leur mouvement, lorsqu’on les fait tourner, sera différent. Avec l’habitude, on peut reconnaître quel œuf est cuit. C’est pareil pour les planètes ! Leur rotation et notamment les variations dans leur orientation - appelées précession et nutation - sont amplifiées quand le noyau est liquide.

Et les landers vous permettent donc de suivre précisément le mouvement des planètes ! Mais quel instrument sur les landers, notamment sur le InSight Mars lander de la NASA, utilisez-vous en particulier ?
L’instrument qui m’intéresse est appelé transpondeur. Développé par la NASA, il a été placé sur InSight. On utilise une antenne de 70 m sur Terre pour envoyer des ondes radio vers le transpondeur. L’instrument sur Mars va détecter ce signal et le renvoyer sans le modifier. On réceptionne le signal retour sur Terre et on en mesure le décalage, appelé effet Doppler, par rapport au signal d’origine. Répétée un grand nombre de fois, cette opération permet de retracer le mouvement de la planète et ses variations.
Cette mission a été un réel succès et les résultats que vous avez obtenus seront bientôt publiés dans la prestigieuse revue scientifique Science. Vous nous en dites un mot ?
Nous ne pouvons pas encore dévoiler nos résultats mais ils visent à confirmer par ce système les résultats obtenus par une approche complémentaire utilisant un sismomètre, que le noyau de Mars est liquide. Nous donnerons même des détails précis sur ce noyau ! L’existence d’un noyau liquide implique que bien qu’il n’y ait plus de champ magnétique autour de Mars aujourd’hui, contrairement à la Terre, il pourrait se reformer à l’avenir. L'existence de ce champ magnétique et de la magnétosphère qu'il génère conditionne en partie l'existence ou non d'une atmosphère autour de la planète. Sans atmosphère, pas d'eau liquide, et sans eau, pas de vie ! Cette découverte a donc une implication importante sur la question d'habitabilité de la planète Mars.
Votre prochain défi s’appelle LaRa, pour Lander Radio science. Cet instrument est presque Made-in-Belgium, n’est-ce-pas ?
LaRa est un bijou de transpondeur entièrement financé et créé en Belgique. Il sera à bord de la mission ExoMars de l’ESA, l’agence spatiale européenne, et de Roscosmos, l’agence spatiale russe, qui partira en 2022. J’ai été jusqu’à peu la responsable de ce projet et mon collègue, Sébastien Le Maistre, reprend le flambeau. L’antenne miniature et super légère de ce transpondeur a été développée à l’UCLouvain par Christophe Craeye. Le transpondeur vient lui de Antwerp space, une entreprise anversoise spécialisée dans la réalisation d’instruments de télécommunication spatiale. Une belle histoire belge !
Maintenant que nous savons que le cœur de Mars est liquide, les données de InSight et de LaRa nous permettront d'en estimer la densité, en fer et en atomes légers, et de déterminer si un champ magnétique pourrait se reformer ou pas !
Y-a-t-il un avenir dans votre domaine pour les jeunes aventuriers-reporters de la terre et de l’espace que votre parcours fait rêver ?
En un mot : oui ! Le spatial a un bel avenir devant lui. Le 'New Space' redynamise les sciences spatiales et offre beaucoup de perspectives de carrières pour des jeunes passionnés. Nous avons besoin de gens courageux et inventifs pour les prochaines grandes aventures martiennes !
Rendez-vous en 2022 pour le lancement de LaRa !
L'avis de l'expert :
Véronique Dehant décrypte pour nous la vision du sol lunaire d'On a marché sur la Lune : Tout à fait correct ! Les hommes ont marché sur la Lune ! Les cratères sur la Lune comme sur la planète Mercure ou encore dans l’hémisphère Sud de la planète Mars sont nombreux car les terrains y sont très anciens. On y voit des traces du début du système solaire et toute l’histoire du système solaire y est inscrite. Il y a une différence importante cependant : on a déjà ramené des échantillons de la Lune ce qui a permis de dater les roches et même de calibrer le rapport date-nombre de cratères. Dans un avenir plus ou moins proche, nous ramènerons des échantillons de la planète Mars et retournerons sur la Lune. D'ailleurs, à quand la première femme sur la Lune ?


Glossaire
- Lander ou atterrisseur : engin spatial destiné à se poser sur la surface d'une autre planète afin de l'explorer.
- Effet Doppler: décalage de la fréquence d'une onde, par exemple la lumière, lorsque la distance entre l'émetteur et le récepteur change au cours du temps.
- New Space : la philosophie liée à l'arrivée d'entreprises privées, comme SpaceX et Blue Origin, dans l'aventure spatiale.
À propos de l’auteur
Gwenhaël W. De Wasseige est professeure à l’UCLouvain en physique des astroparticules. Membre des collaborations IceCube et KM3NeT, elle mène la chasse aux neutrinos à la fois au Pôle Sud et en mer Méditerranée. Chaque mois, Gwenhaël nous racontera à travers sa chronique des infinis les dernières actualités qui touchent l’univers et le domaine de l’infiniment petit.
