Hergé et l'art
A l'heure où les originaux d'Hergé atteignent des sommets qui feraient pâlir d'envie plus d'une œuvre contemporaine (voir la dernière vente chez Artcurial et la news «Une bulle qui vaut de l'or»), la question qui revient sans cesse est : «Mais l'art, à quoi ça sert ?».
Les Tintinophiles connaissent la réponse de notre cher Haddock: «Ça ne sert à rien, mille tonnerres, c'est de l'Art !».
Cette fameuse réplique sous forme de boutade figure à la page 22 de l'album inachevé Tintin et l'Alph Art édité par Casterman en 1986.

Hergé était un passionné d'art! Il a même hésité entre la peinture et la BD. Après quelques tentatives picturales, il s'est «résigné» à manier la plume plutôt que le pinceau et la laisser courir pour continuer à raconter des histoires qui font toujours le tour de la terre.
Durant plusieurs années, un portrait de Holbein, suspendu au mur, trônait au-dessus de sa table à dessin. Holbein bénéficiait d'une situation privilégiée dans l'antre du maître de la BD. Hergé n'avait qu'à lever la tête pour admirer le portrait de Sir Thomas Boleyn dessiné par Hans Holbein Le Jeune. Une source d'inspiration pour le trait si cher à Hergé.
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Ingres faisait aussi partie du panthéon (imaginaire) d'Hergé. A l'époque où Hergé avait ses studios sur l'avenue Louise, celle-ci regorgeait de galeries d'art renommées. Les plus célèbres étaient les galeries «Isy Brachot» et «Carrefour» tout près de la place Stéphanie. Près des yeux près du cœur, Hergé pouvait ainsi «lécher» les vitrines et assouvir sa passion autrement qu'en tenant le pinceau. Il arpentait aussi les rues de Paris à la recherche de certaines galeries comme celle située rue de Seine - la Galerie Jeanne Bucher - où il acquit au moins une œuvre. Il devient un farouche collectionneur sous l'impulsion de Marcel Stal, galeriste de son état mais surtout ami de son frère.
Cette impulsion s'est doublée d'une grande curiosité (légendaire chez les personnes nées sous le signe du gémeau). Hergé était avant tout un homme qui incarnait parfaitement l'esprit de son temps et même parfois l'anticipait ! [#p#
Doté d'un goût pour les avant-gardes et s'entourant de gens avisés comme Marcel Stal, il va avec d'autres amis former un «club» de collectionneurs et rassembler au fil du temps une collection de tableaux et d'objets d'art signés par des créateurs comme Lucio Fontana (une de ses œuvres est visible au Musée Hergé), Pierre Alechinsky, Sonia Delaunay, Serge Poliakoff, Victor Vasarely, Miguel Berrocal, Jean-Pierre Raynaud, Frank Stella, Tom Wesselman, Roy Lichtenstein ou Andy Warhol.

A lire les derniers noms de cette liste non-exhaustive, il n'est pas étonnant que Hergé ait «mis en scène» ce monde de l'art, des galeristes, des collectionneurs, des marchands d'art dans son ultime œuvre Tintin et l'Alph Art. D'ailleurs, Hergé avait d'abord pensé à un autre titre pour désigner le courant artistique dont Ramo Nash est le créateur : Pop'Art. Il a penché finalement pour l'Alph Art. Ce courant artistique, né de son imagination et inspiré du Pop'Art repose sur la volonté de donner à l'alphabet ses lettres de plasticité. L'artiste crée un univers déroutant à partir des lettres de l'alphabet. Le pape de l'Alph-Art - Ramo Nash - expose un A et un Z majuscules sur les supports les plus variés (peints sur toiles ou moulés en plexiglas) et parfois mis en couleur; Bianca Castafiore, admirative y voit «...un raccourci de tout l'univers!» . Haddock quant à lui «succombe» et quittera la galerie avec une sculpture en plexiglas en forme de H sous le bras, H comme la première lettre de Hergé ou de Haddock !

Qui aurait pu penser que ce mouvement créé par Hergé de toutes pièces puisse faire des émules. L'exposition prochaine Alphabet of Art à l'International House Philadelphia est là pour en témoigner.

L'Alph-Art, resté inachevé est son album-testament ! Tintin (Hergé disait «Tintin c'est un peu moi») y est sacré œuvre d'artpar le dessinateur lui-même; le héros voit son sort scellé par Endaddine Akass (le guru faussaire) qui veut le faire disparaître et pas de n'importe quelle manière !
Endaddine : Non, César tout court, le sculpteur, l'homme des compressions. Tenez, en voici une! C'est aussi l'homme des expansions, comme celle-ci... Eh bien, mon cher, nous allons couler sur vous du polyester liquide; vous deviendrez une expansion qui sera signée César et sera ensuite authentifiée par Zolotas, l'expert bien connu. Ensuite, elle sera vendue, soit à un musée, soit à un riche collectionneur...
L'album inachevé finit de la sorte !
On ne saura jamais si Hergé voulait se débarrasser de son héros sentant que la maladie allait bientôt l'emporter.
Agatha Christie, elle-même, n'en pouvait plus de son célèbre détective belge Hercule Poirot. Elle l'aurait même bien fait disparaître s'il n'avait pas été le personnage préféré de son public, affirmait son petit-fils au magazine Radio Times.

La boucle est bouclée, l'Art sert aussi à exorciser nos démons et à nous sortir d'un monde qui nous échappe. Il célèbre la vie...
«L'art n'a définitivement pas de comptes à rendre, sinon à lui-même» (par Evelyne Pieiller, février 2011. A quoi sert l'art ?, Lire l'article)
(Pour sa première vente aux enchères de bande dessinée, qui aura lieu le 4 juillet à Paris, Sotheby's propose un catalogue sélectif d'une centaine de dessins exécutés par les artistes les plus emblématiques du 9eme art, du début du XXeme siècle à la génération contemporaine.)
Lire aussi l'album à la loupe «Tintin et l'Alph Art»
Télécharger le communiqué de presse de la prochaine vente de Sotheby's (pdf)
(Pour sa première vente aux enchères de bande dessinée, qui aura lieu le 4 juillet à Paris, Sotheby's propose un catalogue sélectif d'une centaine de dessins exécutés par les artistes les plus emblématiques du 9eme art, du début du XXeme siècle à la génération contemporaine.)