Carré noir sur planche blanche







Radicale. Moderne. Audacieuse. La dernière case de la planche 103 de Tintin au pays des Soviets surprend et ce, dès le premier regard. Pourtant, lorsque l’on s’attarde sur la composition d’ensemble, on comprend vite sa raison d’être.
La planche est, en effet, construite pour mener le héros vers ce moment inéluctable.
Un cliffhanger "brillant" car des plus réussis. Tel un fondu au noir cinématographique, il laisse le lecteur en suspens, entre tension et incertitude. De quoi déclencher chez lui une irrépressible envie de se jeter sur la page suivante pour savoir ce qu’il est advenu du jeune reporter. S’est-il défait de ses poursuivants ou au contraire, est-il tombé dans les mailles de leur filet ? Sombre mystère…
Pourtant, dès le milieu de la planche, Hergé les préparent psychologiquement en usant d’un efficace et très contrasté clair-obscur, dont le Caravage en personne, aurait pu avoir l’idée. "Vite éteignons la lampe !" s’exclame Tintin à l’attention de son fidèle compagnon.
Sitôt dit, sitôt fait ! Et la pièce bascule instantanément dans une dramatique obscurité…
Enfin presque ! Car, la bataille qui s’opère dans l’ombre fait des étincelles. Les coups et autres "Pan", "A moi" et "Boum" qui en émanent deviennent presque des lueurs d’espoir. Puis, l’affrontement diminue en intensité, entrainant la disparition progressive des sources d’éclairage, jusqu’au noir total où règne enfin le silence.
L’action est à son paroxysme et pourtant, il n’y a plus aucun mouvement.
Il ne se passe plus rien.
Cette négation picturale fait écho aux travaux de Kasimir Malevitch, mais plus encore, à son fameux Carré noir sur fond blanc. Avec cette œuvre révolutionnaire et magistrale – qui fit date dans l’histoire de la peinture et des théories esthétiques – l’artiste inventa, en 1915, le "degré zéro de la forme", c’est-à-dire, un nouveau langage plastique libéré de toute représentation objective du monde.
Guidé par une quête d’absolu, ce dernier rejetait, en effet, les fondements même de l’esthétique classique pour ne conserver que des formes géométriques simples, peintes en aplat de couleurs pures. Une démarche de simplification extrême qui lui permis de donner naissance à une nouvelle forme d’art, abstrait, vide de sens et donc dénué de toute signification.

Le saviez-vous ?
D’origine polonaise, Kasimir Malevitch (1879-1935) est né à Kiev, en Ukraine. Une composante qui marqua durablement sa personnalité comme ses pensées théoriques et picturales. Bien loin des canons esthétiques connus jusqu’alors, ce dernier s’escrima, toute sa carrière durant, à proposer une vision radicale – pour ne pas dire, brutale – de l’art. Sans doute, parce qu’à travers sa peinture, c’est sa protestation contre la tyrannie stalinienne qui s’exprimait.

Zoom sur…
A l’instar de Malevitch, d’autres figures emblématiques, nées dans la capitale ukrainienne, ont durablement marqué le monde de leur empreinte, par leurs actions comme par leurs engagements. Parmi elles :
- L’ingénieur-constructeur en aéronautique, Igor Sikorsky (1889-1972), qui mit au point l’hélicoptère
- Mikhaïl Boulgakov (1891-1940), médecin de guerre et auteur du roman Le maître et la Marguerite, écrit entre 1927 et 1939
- Golda Meir (1898-1978), "La mère d’Israël", qui participa à la création de ce nouvel état en signant sa déclaration d’indépendance le 4 mai 1948
- L’athlète multi-titrés et ancien détenteur du record du monde de saut à la perche, Sergueï Bubka (1963-)
- La talentueuse actrice Milla Jovovich (1975-), alias Leeloo dans Le 5e élément, film par réalisé par Luc Besson en 1997
- L’entrepreneur Jan Koum (1976-), fondateur de l’application WhatsApp