La photo dans tous ses ektas…

… Je dirai même plus : dans tous ses états ! Comme chaque année depuis 1839, le 19 août est la Journée internationale de la photographie. L’occasion idéale de voir comment elle s’est infiltrée, mais surtout révélée, au fil des Aventures de Tintin.
L’or noir, p.62 A1 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

Premier déclic !

Entre le héros à la houppette et la photo, un lien étroit se tisse depuis toujours. Pour preuve, il est évoqué dès la première case de ses investigations en terres soviétiques, parues en 1929. Cette case – purement narrative – certifie même aux lecteurs que « toutes ces photos sous-entendu, les vignettes, rigoureusement authentiques, … (ont) été prises par Tintin lui-même ». Ici donc, album de bande dessinée et album photo se rejoignent et se confondent pour former le portfolio d’un reportage aux multiples rebondissements.
Cette fusion des genres est d’autant plus légitime que neuvième art et photojournalisme parlent le même « double langage ». Tous deux mêlent, en effet, mots et images pour mieux raconter. Une particularité qui inspirera, quelques années plus tard, à Paris-Flash… euh Paris-Match son célèbre slogan : « le poids des mots, le choc des photos ».
Tintin au pays des Soviets, p.4 A1 et B1 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Mais une chose surprend tout de même. Comment un grand reporter comme Tintin peut-il partir en mission sans matériel ? Cela pose question, en effet, car en toute logique, on voit mal comment il pourrait être l’auteur de cet authentique roman-photo vanté en introduction. A moins que celui-ci n’ait repris à son compte une technique peu orthodoxe mais particulièrement usitée en Russie à cette époque, à savoir : le trucage d’images. Commencer sa carrière journalistique par une information fallacieuse… il fallait oser !
Finalement, les seuls boîtiers photo de l’histoire sont ceux de confrères journalistes vus en troisième et en dernière cases de l’album. C’est donc le principe de « l’arroseur arrosé » qui s’applique ici puisque Tintin se trouve, non pas derrière, mais bien devant l’objectif. Une posture qu’il occupera quasi-exclusivement par la suite, sauf de rares exceptions. Aussi, en Amérique par exemple, il joue du déclencheur pour immortaliser sa rencontre avec l’autochtone tandis qu’au Tibet, c’est pour éblouir l’abominable homme-des-neiges à grands coups de flash.
Tintin en Amérique, p.16 C2 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Tintin au Tibet, p.57 B3 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

Une vaste profondeur de champ… d’application !

Dans Les Aventures de Tintin comme dans la réalité, la photographie est plurielle : par ses techniques, ses pratiques, ses procédés, ses applications et bien d’autres aspects encore. C’est une discipline multifacette qui offre, en effet, un infini champ des possibles. Une particularité fort utile pour Hergé qui s’en sert régulièrement comme ressort « graphico-narratif » pour pimenter ses intrigues. Voici donc, pêle-mêle, quelques exemples représentatifs des genres, fonctions et usages qu’il met en scène tout au long de la saga.

Scoop toujours…

Reporter oblige. Au vu de la profession qu’exerce son héros, Hergé fait logiquement référence au « scoop », cette fameuse exclusivité – ou nouvelle fracassante – que tout journaliste rêve de décrocher au moins une fois dans sa carrière.
Mais, contre toute attente, dans Tintin au Tibet, c’est le capitaine qui se prend au jeu. Sa quête devient même le fil conducteur des douze dernières planches de l’album et contribue au dénouement de l’histoire. Durant ce laps de page, le dessinateur lui offre deux occasions en or.
Haddock découvre d’abord – non sans stupéfaction – les capacités de lévitation d’un moine répondant au nom de Foudre Bénie. Mais, bien qu’il ait le réflexe de dégainer son… reflex, il ne parvient pas pour autant à fixer, sur pellicule, la scène surnaturelle à laquelle il vient d’assister. Qu’à cela ne tienne puisqu’une nouvelle opportunité – et de taille – s’offre à lui, quelques cases plus loin, avec la rencontre du Yéti. Un légendaire individu dont tout le monde parle mais que personne n’a finalement encore jamais vu. De fait, le capitaine insiste pour que son jeune complice de toujours – chargé de rencontrer la créature – le prenne en photo et rapporte ainsi, la preuve concrète de son existence.
Tintin au Tibet, p.51 A1 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Tintin au Tibet, p.55 B2 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Si l’inédit fait vendre, le sensationnel aussi… et peut-être même plus encore. Ce pourquoi la presse à scandale a cette fâcheuse manie de relayer, amplifier et déformer les indiscrétions – mêmes les plus anodines – des célébrités et autres personnalités publiques. Et pour les débusquer, elle fait appel aux paparazzi, ces chasseurs d’images aguerris, prêts à tout – y compris à prendre des libertés avec la vérité – et dont le marin estropié et la diva italienne font les frais dans Les Bijoux de la Castafiore.
Les Bijoux de la Castafiore, p.23 B3 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Les Bijoux de la Castafiore, p.27 B1 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

Y a pas photo…

Dans le domaine de la traque, se trouve également la photo d’espionnage, bien sûr. Et celle-ci a toute sa place dans les enquêtes policières menées par le jeune reporter. De fait, dans Le Sceptre d’Ottokar, Hergé l’intègre dès la troisième planche pour lui permettre de se lancer pleinement dans l’histoire. Une astuce qui fonctionne à merveille, puisqu’il se met aussitôt à investiguer.
Le dessinateur en profite, au passage, pour montrer les avancées technologiques en la matière. Pour ce faire, il équipe un dénommé Sporowitch d’un appareil miniature dernier cri qui tient dans la main ou plutôt… dans une montre à gousset. Grâce à ce gadget sophistiqué – digne de James Bond –, il photographie Tintin et Milou à leur insu. Ni vu, ni connu. En toute discrétion… « clic clac c’est dans la boîte » ! Dommage qu’il ne soit pas doué en cadrage. Toujours est-il qu’avec cette photo ratée, Hergé intègre judicieusement une image dans l’image, créant ainsi une sorte de mise en abyme.
Le Sceptre d’Ottokar, p.3 D1 à D4 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

Se faire tirer le portrait…

L’effet graphique de double représentation est encore plus impactant lorsqu’il s’agit d’un portrait. Aussi, dans Le Lotus bleu, Hergé s’amuse à mettre en scène Tintin, tombant nez-à-nez… avec lui-même – ou tout du moins, avec un placard à son effigie. Par chance, cet avis de recherche lui rend hommage. On l’y voit souriant et de profil – qu’on suppose être le meilleur –, ce qui n’est d’ordinaire pas le cas dans ce type d’image. Normal puisque les photos d’identité répondent à des critères stricts visant à faciliter la reconnaissance immédiate et sans équivoque d’une personne.
Pour ce qui est de la ressemblance, il en est une qui ne transige pas avec son image. L’interprète de l’air des bijoux est loin de rire lorsqu’elle découvre son visage en une du journal Tempo di Roma, dans Les Bijoux de la Castafiore. Mais c’est finalement moins le caractère volé et peu photogénique du cliché qu’elle dénonce que la perte de contrôle de son image, au sens « réputation » du terme. En photo donc, tout est question de sensibilité, de point de vue mais aussi de susceptibilité.
Le Lotus bleu, p.25 D3 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Les Bijoux de la Castafiore, p.41 C2 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

Souvenirs, souvenirs…

Cliché parmi les clichés. L’incontournable photo de famille trouve également sa place dans l’œuvre d’Hergé. Les personnages se prêtent volontiers à cette tradition populaire qui leur permet – comme tout un chacun – d’immortaliser visages et temps forts de leurs existences.
Dans Le Lotus bleu, par exemple, Tintin et Tchang prennent la pose pour sceller symboliquement leur amitié, mais c’était sans compter sur le fait que l’initiateur de l’idée soit finalement plus tireur d’élite que tireur de portrait. La photo de famille a des avantages, mais elle a aussi des inconvénients et sur ce point, ce ne sont pas Nestor et Alfred qui diront le contraire. Car c’est à cause d’un banal cliché à leur effigie que les frères jumeaux du Sceptre d’Ottokar sont confondus par la police.
Le Lotus bleu, p.48. D1 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Le Sceptre d’Ottokar, p.61 A1 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Dans le même registre, mais plus anecdotique encore : la photo touristique – également dite de vacances. Hergé rend hommage à cette autre grande pratique populaire dont l’amateurisme et la spontanéité font tout le charme. Il est vrai que les apprentis photographes déclenchent à la hâte et à tout va, dans l’unique but de constituer, pour plus tard, un catalogue de souvenirs à se remémorer.
Les spécimens le plus caractéristiques d’entre eux se reconnaissent aisément à leur approche esthétique improbable tout comme à leur style vestimentaire qui, bien souvent va de pair : chemises bariolées, chapeaux, chaussettes montantes et surtout… l’indispensable boîtier photo ostensiblement porté – haut et court – autour du cou. Hergé utilise ce stéréotype pour caricaturer les aficionados du genre dans Tintin et les Picaros et plus particulièrement leur très volubile et sémillant représentant : Séraphin Lampion.
Tintin et les Picaros, p.51 C1 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Tintin et les Picaros, p.51 D3 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

Éclairage scientifique…

Plus sérieusement, Hergé évoque aussi les apports de la photographie dans le domaine scientifique. Il n’est donc pas rare de voir les savants des Aventures de Tintin recourir à ce procédé dans le cadre de leurs travaux de recherche.
Du côté des sciences humaines, citons le professeur Halambique, par exemple. Cet expert en sigillographie, vu dans Le Sceptre d’Ottokar, profite de son enquête de terrain, pour recueillir un maximum d’informations visuelles en lien avec son sujet d’étude. Pour ce faire, il s’adjoint l’aide d’un photographe professionnel missionné pour « enregistrer » un à un les artéfacts mis à sa disposition : sceaux, archives, trésors, etc. Le corpus iconographique ainsi obtenu – véritable encyclopédie visuelle de la civilisation syldave – lui permettra, par la suite, d’analyser en détail ce qu’il n’aurait pu percevoir sur place, dans le feu de l’action.
Du côté des sciences appliquées, le professeur Calys, vu dans L’Etoile mystérieuse, utilise quant à lui la photographie spectroscopique pour identifier la composition de la météorite qui s’apprête à entrer en collision avec la Terre. Grâce à un long et large code-barres blanc enregistré sur négatif, il détecte en un clin d’œil la présence d’un métal inconnu. Preuve que la photo est une clé de compréhension efficace pour lever le voile sur les mystères de la science.
Le Sceptre d’Ottokar, p.41 A2 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
L’Etoile mystérieuse, p.11 C3 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

Le petit oiseau va sortir…

Cette expression de photographe – utilisée d’ordinaire pour capter l’attention des modèles et les inviter à ne plus bouger – trouve tout son sens dans l’œuvre graphique d’Hergé. Prise au pied de la lettre, elle semble même lui avoir inspiré plusieurs gags et tours de passe-passe.
Et comme le père de Tintin a plus d’un tour dans son sac, il imagine d’astucieux mécanismes à la manière des prestidigitateurs et magiciens, passés maîtres dans l’art du camouflage et de la dissimulation. Ainsi, la chambre noire du Lotus Bleu abrite une petite mitraillette dont seule l’extrémité du canon pointe par l’objectif. Celle du Sceptre d’Ottokar, quant à elle, ne manque pas de ressort au point de servir de catapulte pour lancer, tel un vulgaire projectile, le précieux bâton de commandement de Muskar XII, hors de l’enceinte du château de Kropow.
Mais la palme du meilleur bidouillage revient sans doute au « diable en boîtier photo » utilisé par le capitaine Haddock, dans le premier tome des aventures lunaires, pour sortir Tournesol de son amnésie passagère. On ne saurait dire si l’idée vint de lui ou de l’imagination débordante de son créateur. Qu’importe puisque l’effet escompté est bien au rendez-vous mais… tel est pris qui croyait prendre, puisqu’il est victime de son propre piège. La photographie ne cessera donc jamais de nous surprendre… !
Le Lotus bleu, p.49 A2 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Le Sceptre d’Ottokar, p.46 B2 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
Objectif Lune, p.47 C4 © Hergé / Tintinimaginatio - 2025
1 commentaire
ou pour écrire un commentaire.
tom2005
20/08/2022 à 08:32
Très intéressant, je ne m'étais pas forcément attardé à l'importance de la photographie dans les albums de Tintin
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