L'art de miser sur (les) deux tableaux
Organisées chaque année depuis le milieu des années 1980, les Journées Européennes du Patrimoine ont pour but de mettre en lumière des œuvres et des lieux habituellement méconnus du public. L’occasion idéale pour les curieux, comme pour les tintinophiles avertis, de découvrir la face cachée d’une toile – non pas de fond, mais plutôt de premier ordre – conservée dans les, très privées, caves du château de Moulinsart.
Une image dans l’image
Telle est la particularité de la case D3 de la planche 60 du Trésor de Rackham le Rouge. Et cette vignette est loin d’être anecdotique puisqu’elle met en scène la découverte de la cachette qui abrite le butin du célèbre pirate des Aventures de Tintin.
C’est par la présence de la statue de St Jean l’Évangile mais surtout, de la croix qu’il tient dans sa main et de son aigle totémique, que le jeune reporter et son indéfectible ami marin parviennent à résoudre l’énigme léguée par le Chevalier François de Hadoque.
A bien y regarder, Hergé superpose effectivement ici deux visuels : la composition mettant en scène ses héros, bien sûr, mais pas que, puisqu’il glisse subrepticement un autre motif, en grande partie occulté par le capitaine qui se tient aux premières loges.
Mais plus concentrés par ce qu’ils sont venus chercher, les deux compères en oublient totalement de regarder ce qu’ils ont entre les mains. En l’occurrence : une œuvre d’art.
Une œuvre d’accord, oui mais laquelle… ? Là est – justement – la question !

En quête d’indices…
Le tableau apparaît au début du second strip, avant que Tintin ne pointe du doigt dans sa direction, six cases plus tard. Et si celle-ci figurine en bonne position, c’est parce qu’elle masque en partie l’alcôve qui les intéresse.
Les deux compères se mettent alors rapidement à sa hauteur pour examiner la situation mais, malgré le nouvel angle de vue et le plan rapproché, difficile d’en apprendre davantage car l’intriguant tableau est posé à même le sol, face picturale contre le mur.

Un indice évident s’impose tout de même : ses dimensions. Il s’agit-là d’un tableau grand format, plus haut que large. Des proportions d’ordinaire réservées aux œuvres de genre – en particulier, aux peintures d’histoire et aux portraits.
Enfin, notons au passage le parfait état de conservation de cette toile montée sur châssis, magnifiée par un encadrement à baguette plate et épaisse, qu’on suppose être dorée ou en bois clair. A n’en pas douter, les deux héros d’Hergé sont en présence d’une peinture à l’huile.
Mystère et boule de fourrure
Une fois retournée, l’enquête se poursuit.
Bien que cela ne soit pas très aisé, il est tout de même possible de percevoir plusieurs informations picturales signifiantes.
Mais désormais, une chose est sure : le motif représenté est un portrait.
Le sujet se détache distinctement sur un fond uni, peint dans un pâle et subtil camaïeux gris-rose. La silhouette – cintrée à la taille – indique qu’il s’agit d’une figurine féminine représentée de profil. Cette dernière est d’ailleurs vêtue une robe bicolore rose et bleu-mauve qui s’harmonise parfaitement avec la tonalité de l’aplat d’arrière-plan.
Le modèle porte également une souple étole faisant office de châle, sur les épaules, ainsi qu’un large haut de forme surmonté d’un panache en plume et ruban, sur la tête. Preuve que l’artiste à l’origine de cette composition accordait une grande importance aux toilettes et à la mode de l’époque.

La coiffure, quant à elle, renseigne justement sur la période car les cheveux sont portés longs, bouclés mais surtout, détachés. Or, d’après les travaux de recherche menés par les historiens et historiens d’art, on sait aujourd’hui que les perruques ont été progressivement délaissées à partir du XVIIIe siècle, au profit de mises en plis naturelles et poudrées. Une mode capillaire qui fut introduite par la reine Marie-Antoinette, elle-même.
Dernier détail qui fait mouche, enfin : le bras gauche de la personne est replié sur la poitrine et se termine par un épais et luxueux manchon de fourrure.
Question pour des champions
Après l’examen attentif de l’œuvre, voici les indices et éléments d’information dont nous disposons, à présent, pour parvenir à son identification :
- Une peinture à l’huile grand format
- Une palette chromatique pastelle et subtile
- Un portrait de femme richement vêtue
- Une coiffure caractéristique du XVIIIe siècle
- Un manchon de fourrure
Dernier « indice chez vous, à la maison » :
Fin et délicat, ce style pictural n’est autre que celui… d’une femme !
L’auteur du tableau que nous recherchons était, effectivement, une artiste-peintre officielle – et pastelliste de renom – qui fit carrière au temps de Marie-Antoinette.
Portraitiste de talent, ses tableaux visaient toujours à sublimer la beauté des femmes et leurs atours.
Il est grand temps, maintenant de résoudre le mystère en répondant à une ultime et dernière question : de quel portrait issu de la production de cette artiste Hergé s’est-il inspiré pour animer sa case ?