La case qui parle : mise en abyme
Dans Le Secret de la Licorne, Hergé a glissé une case singulière, presque anodine pour un lecteur pressé, mais d’une richesse remarquable pour qui prend le temps de l’examiner. On y voit le visage du capitaine Haddock se superposer au portrait de son ancêtre supposé, François de Hadoque. Un beau gag visuel doublé d’une projection dans le passé !

Cette mise en scène condense plusieurs dimensions du récit. Il rappelle d’abord que Haddock n’est pas seulement un marin colérique rencontré par hasard, mais un personnage désormais rattaché à une généalogie. Le simple visage devient ainsi un sceau de filiation : en un instant, Hergé offre à son capitaine un passé, une mémoire et un nom inscrit dans la durée… ainsi qu’une jolie bosse sur la tête !
Le portrait reprend les codes de la peinture d’apparat : manteau, bottes, chapeau à plume, sabre. Cette solennité renvoie aux galeries de châteaux où s’alignaient les ancêtres prestigieux. Dans le sérieux aristocratique du tableau s’incruste la trogne bourrue d’Haddock, avec ses traits fatigués. Le contraste est comique et fondateur pour notre capitaine décidément bien malmené. Les plus fins observateurs ont même relevé un autre portrait présumé de son ancêtre, cette fois-ci imberbe, la tête couverte d’une perruque et vêtu d’un habit de cour, le visage marqué d’une gravité toute aristocratique.

Un détail décisif complète la scène : derrière François de Hadoque se profile le navire qu’il commandait, La Licorne. Ce vaisseau n’est pas un simple décor, il est au cœur de l’histoire et de l’héritage. Le tableau ne célèbre donc pas seulement un ancêtre prestigieux, mais toute une mémoire navale dont Haddock devient l’héritier.
Mais la vignette porte aussi l’ombre d’un ennemi. François de Hadoque ne vit que par son affrontement avec Rackham le Rouge, et le capitaine héritera à son tour de cette rivalité ancestrale. Dans cette superposition, il n’y a pas seulement transmission d’un nom, mais aussi d’une lutte : ordre contre désordre, marine royale contre flibuste. La pose, le cadre, le costume imitent la gravité d’un portrait historique, où le lecteur accepte la vraisemblance comme s’il s’agissait d’un témoignage authentique du XVIIᵉ siècle.
En une image, Hergé joue de tous les registres : solennité et dérision, histoire et invention, archive et gag. Le visage incrusté n’est pas une fantaisie gratuite mais un acte narratif : il propulse Haddock hors du simple rôle de comparse comique pour en faire le dépositaire d’un héritage, d’un château, et même d’une némésis.
Hergé transforme ainsi une case en document, donne du poids à une fiction, inscrit un personnage dans la longue durée. Ces images deviennent parfois, comme ici, de véritables pièces d’archive d’un monde imaginaire… Mais attendez, il manque une pièce à la collection, oui, un fétiche exotique qui ressemble trait pour trait au chevalier Hadoque. Plissez les yeux, vous ne verrez que du feu !

Textes et images © Hergé / Tintinimaginatio - 2025