Une date, une aventure
Nous sommes le 17 octobre 1940. Un automne pesant s’abat sur le plat pays en proie à une terrible épreuve. Derrière les visages inquiets et blafards, un sourire familier refait surface : celui de Tintin. Sur les kiosques de Bruxelles, le tout premier numéro du Soir Jeunesse fait son apparition, supplément du quotidien Le Soir… désormais contrôlé par l’occupant allemand.
Quelques mois plus tôt, Le Petit Vingtième avait cessé de paraître, son dernier numéro datant du 9 mai 1940, à la veille de l’invasion de la Belgique, interrompant la publication en cours de Tintin au pays de l’or noir. Pour Hergé, c’est un bouleversement digne d’un mauvais plan de Rastapopoulos : son héros, né en 1929 dans les pages du supplément catholique du Vingtième Siècle, n’a plus de tribune.
Un exil en Auvergne
Au moment de l’invasion, Hergé, dont le frère Paul est fait prisonnier, décide de fuir la Belgique avec son épouse Germaine.
À bord de leur Opel Olympia, ils prennent la route de la France et se réfugient en Auvergne, à l’invitation de son ami Jacques Dumas, alias le dessinateur Marijac, futur créateur de Jim Boum. Le 22 mai 1940, ils arrivent à Saint-Germain-Lembron, puis s’installent à Collanges, un petit village du Lembronnais, dans le Puy-de-Dôme.
Hergé y mène pendant un mois une vie simple et discrète.
Selon les souvenirs transmis par les habitants, il allait chercher le lait dans les fermes, discutait au café du village et dessinait parfois pour les enfants, sur des bouts de papier. Tous se souviennent d’un homme aimable, réservé, en quête de tranquillité.
Le 28 juin 1940, il rentre, cependant le pays est désormais occupé. Que va-t-il se passer ?
Le retour de Tintin
De retour à Bruxelles, Hergé doit tout recommencer. Le nouveau directeur du Soir, Raymond De Becker, lui propose alors de créer un supplément illustré pour la jeunesse. Hergé accepte, choisissant d’y voir une manière de continuer à faire vivre Tintin, tout en se tenant à l’écart de toute position politique.
Ainsi naît Le Soir Jeunesse, dont la première parution du 17 octobre 1940 signe le grand retour du reporter à la houppette, avec une nouvelle aventure : Le Crabe aux pinces d’or.
Sur la couverture, Tintin apparaît souriant, un baluchon sur l’épaule, de retour en Belgique après une longue absence. Mais un détail intrigue : sur une borne kilométrique, on lit le mot « Toulouse ». Ce n’est peut-être pas un hasard.
Quelques mois plus tôt, des dizaines de milliers de jeunes Belges avaient été envoyés vers le Sud-Ouest de la France pour rejoindre les C.R.A.B. (Centres de Recrutement de l’Armée belge), dont l’état-major était installé à Toulouse, principal lieu de regroupement de ces jeunes soldats en exil.
Certains verront ici hommage à ces jeunes hommes déracinés, contraints à l’exil puis au retour, souvent à pied, les semelles usées… comme Tintin sur son dessin. Hergé n’a en tout cas rien perdu de son légendaire sens du détail !
Une courte aventure éditoriale
Le Soir Jeunesse reproduit la maquette du Petit Vingtième : huit pages à replier, mêlant bandes dessinées (Tintin, Quick et Flupke), récits et rubriques diverses. Mais la guerre et les pénuries de papier ont raison du projet.
À partir du printemps 1941, le supplément se réduit à une demi-page. La dernière parution a lieu en septembre 1941.Hergé poursuivra alors Le Crabe aux pinces d’or directement dans Le Soir, sous forme de strips quotidiens.
Courte parenthèse dans la carrière d’Hergé, Le Soir Jeunesse n’en reste pas moins essentiel. Il marque le retour de Tintin après la débâcle, la naissance du capitaine Haddock, et symbolise la persévérance d’un auteur qui, même au cœur de la guerre, continua à croire en la force du récit et du dessin.
Textes et images © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

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