Le casse du siècle... en Syldavie !
Tintin est haletant et pour cause : il file à toute allure, comme s’il savait que chaque minute comptait.
Une filature, un saut d’avion sans possibilité d’ouvrir le parachute, une embuscade, un accident de voiture et… bien des ennuis pour arriver, en bout de course, à la grande salle de Kropow. Celle-ci contient le sceptre royal et tout l’avenir d’un royaume suspendu à un objet d’apparat. Trois jours pour éviter la chute d’un trône, le compte à rebours est lancé. Vite, Tintin, vite !
Malheur ! Il n'y est déjà plus...
Dans Le Sceptre d’Ottokar, Hergé orchestre un véritable casse d’État, précis, net, presque élégant. Tout s’enchaîne avec la rigueur d’un cambriolage politique aux allures d'affaire d'Etat. Mais qui a volé l'objet le plus important de Syldavie ?
En apparence, l’affaire ressemble à une énigme de chambre close. Une salle gardée de la Tour carrée, des fenêtres grillagées, des hommes en faction, aucun signe d’effraction. Pourtant, le sceptre s’est volatilisé. À Kropow, on s’étrangle, les services du roi s’affolent et les coupables volatilisés. Il ne s’agit pourtant pas ici d’une invention farfelue de Tournesol qui a mal tourné, il n’existe pas encore dans le récit. Tintin, lui, ne lâche pas le fil. L’affaire dépasse la simple curiosité d’un vol bien ficelé : sans sceptre, le roi Muskar XII perd tout droit au trône. En trois jours, la Syldavie peut basculer.
Un sceptre à la valeur… inestimable
Catastrophe ! Les célèbres détectives Dupond et Dupont mènent aussi l’enquête, mais cela n’empêche pas Tintin de cogiter et peut-être se souvient-il dans l’avion qui l’emmenait à bon port, de la brochure avec l'enluminure de la bataille de Zileheroum et l’avertissement pour le sceptre « Malheur au roi qui te perdra… ». Une bien fameuse histoire ce royaume de Syldavie. Mais un instant… des joyaux royaux, ça se vole ?
L’Histoire, cette fois-ci bien réelle, l’a déjà prouvé. En 1671, le colonel Thomas Blood se présenta à la Tour de Londres déguisé en pasteur et tenta de s’emparer des joyaux de la Couronne. Avec ses complices, il attaqua le gardien Talbot Edwards, s’empara de la couronne, de l’orbe et du sceptre, puis fut arrêté alors qu’il tentait de fuir la Tour. Deux siècles plus tard, en 1907, les Irish Crown Jewels disparaissent du château de Dublin sans qu’on retrouve jamais la moindre trace du voleur. Même les symboles les mieux gardés ne sont pas à l’abri d’un bon stratagème.
Retour en Syldavie
Le coup est d’une simplicité désarmante. Le faux savant, Alfred Halambique, s’introduit dans le château sous l’identité de son frère jumeau, expert en sigillographie. Rien de plus officiel. Le piège se referme quand un photographe, complice, actionne son appareil truqué : un mécanisme à ressort expédie le sceptre par la fenêtre, au-delà des grilles, dans les bras d’un homme posté à l’extérieur. Pas de casse, pas de bruit. Le vol parfait !
Le dispositif a tout du casse d’école. L’usurpation d’identité pour franchir la porte, le gadget dissimulé dans un objet banal, le transfert éclair et la fuite vers la frontière bordure. Le scénario politique prend la relève du polar. Le sceptre n’est plus un bijou d’apparat mais une arme constitutionnelle. Perdu, il dissout l’autorité. Retrouvé, il rétablit la continuité. Entre les deux, trois jours d’un suspense tendu comme une horloge.
Frictions dans l’air
Hergé ne décrit pas seulement une aventure, il met en scène une mécanique du pouvoir. La Syldavie, avec ses uniformes, ses cérémonies et ses lois symboliques, fonctionne comme une maquette de l’Europe de 1938. Un royaume menacé par une puissance voisine, un parti extrémiste infiltré, des officiers compromis. La fiction n’a rien d’innocent. Elle transpose l’air du temps et l’enferme dans la précision d’un plan. Et puis ce Müsstler, chef du parti de la Garde d’Acier, en accointance avec la Bordurie, est sacrément louche… Et son nom est sans équivoque !
Heureusement l’expression « Bien mal acquis ne profite jamais » prend de nouveau tout son sens. Le sceptre est rapporté non pas par Tintin, mais… par ce bon vieux Milou. Tintin, lui, le remet au roi, et la cérémonie peut se tenir et il devient chevalier de l’Ordre du Pélican d’Or. La situation est restaurée, mais ouf ! de peu. L’État syldave a vacillé pour un instant au prix d’un casse éphémère, mais tout de même retentissant. Du coup, ne faudrait-il pas aussi donner une récompense à notre héros canin ? Une médaille, peut-être pas, mais un bon os à ronger, certainement. On ne le répétera jamais assez : merci Milou !
Textes et images © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

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