La case qui parle : « Celui-qui-déchaîne-le-feu-du-ciel »
Avez-vous déjà frissonné devant cette scène où Rascar Capac sommeille encore derrière une vitre ?
Dans Les 7 Boules de cristal, Hergé glisse une case d’apparence anodine, mais d’une évocation visuelle et symbolique intéressante à analyser.
Le professeur Bergamotte y présente à Tintin, au capitaine Haddock et à Tournesol la momie de Rascar Capac, exposée dans une vitrine au milieu de son salon. Une scène tranquille en apparence, où pourtant le vertige du fantastique s’invite déjà dans cette bulle qui annonce le récit… à grand coup de mythologie !
La phrase de Bergamotte, prononcée sur le ton de la conversation, agit d’ailleurs comme une prophétie. Le nom même de Rascar Capac semble réveiller la force qu’il désigne. L’humour du savant masque la gravité du pressentiment : le « celui-qui-déchaîne-le-feu-du-ciel » qu’il évoque frappera bientôt, littéralement, la maison sous forme de boule de foudre.
La composition est d’une clarté presque cérémonielle. Bergamotte, au centre, présente la momie avec un geste assuré ; Tintin, Haddock et Tournesol se tiennent légèrement en retrait, attentifs, presque subjugués. Seul Milou perçoit la menace et s’agite. Ce contraste entre la raison humaine et l’instinct animal donne à la scène sa tension sourde. La vitrine, d’un côté, incarne la science qui classe et montre ; de l’autre, la momie, silencieuse et repliée sur elle-même, incarne le sacré réduit à l’état d’objet.
Le professeur Bergamotte, par son allure et son érudition tranquille, n’est pas un personnage inventé au hasard. Hergé se serait inspiré de Jean Capart, grand égyptologue belge né à Bruxelles en 1877, conservateur en chef des Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles dès 1911.
Capart, qui a contribué à faire connaître l’égyptologie en Europe, voyagea également en Amérique du Sud en 1936, où il s’intéressa aux collections amérindiennes. Son nom et son visage auraient inspiré le savant des 7 Boules de cristal. Bergamotte devient ainsi une figure de la science triomphante, savante mais vulnérable, au seuil du mystère qu’elle croit dompter. Et le pauvre n’est pourtant pas au bout de ses peines…
Derrière eux, le décor ne doit rien au hasard. L’auteur y vieille ! Sur le mur du salon, Hergé a reproduit une scène tirée de la planche 14 du Codex Borbonicus, manuscrit aztèque du XVIᵉ siècle. On y reconnaît le dieu Xipe Totec, « notre seigneur l’écorché », divinité du renouveau, de la végétation et de l’agriculture. Dans la mythologie, Xipe Totec s’écorche lui-même pour nourrir les hommes, image du grain de maïs perdant son enveloppe avant de germer. Dieu du cycle de la vie, il est aussi le patron des orfèvres, symbole de transformation et de renaissance.
Son image, placée juste derrière la vitrine de Rascar Capac, agit comme un écho visuel à la momie : deux figures de dépouillement, deux incarnations du passage, deux corps à la fois morts et fertiles.
Graphiquement, tout est figé, aucune action, mais un calme tendu… Presque trop tendu. Le verre de la vitrine crée une frontière entre le présent et le passé, le réel et le mythe. Ce n’est plus un simple objet ethnographique, c’est déjà un personnage en attente de réveil. En une image, Hergé fait basculer le récit : la curiosité scientifique devient invocation. La parole du professeur agit comme une clé qui ouvre le domaine du mystère. La nuit risque d’être longue !
Cette case, à la fois simple et lourde de présages, résume à elle seule le génie narratif d’Hergé : l’art d’introduire le fantastique sans le dire. Entre la vitrine et la fresque, entre science et mythe, se joue l’équilibre fragile du monde moderne. La momie écoute, muette, le nom qu’on lui redonne. C’est bien celui qui déchaîne le feu du ciel. Et déjà, derrière le verre, le silence se tend et l’aventure à l’élan fantastique ne fait que commencer !
Textes et images © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

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