Un aller simple pour l’aventure
Alors que le mois de décembre nous étreint, les gares s’illuminent, les trains sifflent dans le froid, et les voyageurs se pressent, valise à la main, rêves plein la tête. Et si, en cette fin d’année, on montait à bord avec le plus célèbre des globe-trotteurs à la houppette ? Car bien avant nos départs en vacances d’hiver, Tintin était déjà sur la route, sillonnant le monde au rythme des rails, des fleuves et des océans. Vous êtes bien ? Ticket, s’il vous plaît !
Son tout premier grand départ est soviétique. À la fin des années vingt, le journal Le Vingtième Siècle commande à Hergé un reportage dessiné sur l’URSS. Tintin embarque alors à bord du Nord-Express, ce train international de prestige reliant Londres, Ostende, Bruxelles et Paris à Saint-Pétersbourg et Moscou. Mais le voyage tourne rapidement au sabotage : un agent soviétique de la Guépéou fait exploser une bombe, provoquant un arrêt imprévu à Berlin. Tintin poursuit ensuite sa route, désormais cantonné à l’avant de la locomotive, observatoire idéal sur près de 800 km de traversée de la Pologne. Sur les cartes de l’itinéraire, on suit précisément Bruxelles, Berlin, Varsovie, Stolbtsy, puis Moscou. Le ton est donné : chez Tintin, le voyage est rarement paisible puisque des secousses ponctuent souvent les arrêts et les gares !
Pas de temps à perdre, cap vers l’Afrique et ses merveilles naturelles. Dans Tintin au Congo, l’aventure commence très officiellement sur le quai de la gare du Nord à Bruxelles. Tintin prend le train vers Ostende, avant d’embarquer sur un paquebot de la Compagnie maritime belge à destination de l’Afrique. Sur place, il roule à bord d’une Ford T de location, surnommée la « Tin Lizzie », directement inspirée des catalogues automobiles de l’époque. Mais la route croise vite l’unique grande ligne ferroviaire coloniale, le chemin de fer Matadi–Léopoldville, long de 366 km. Voie étroite, passages sommaires, vitesse moyenne de 20 km/h, courbes serrées, rails parfois brisés : l’environnement ambiant est planté avec ce ton délicieusement naïf. Dans une scène cocasse, la Ford T est percutée par une locomotive et se retrouve… remorquée jusqu’à la station suivante, sous les yeux médusés du chef de gare. Comme le lecteur peut s’en rendre compte, le voyage est déjà une bien belle aventure mécanique.
Hop, hop, pressons ! Le décor change radicalement avec Le Lotus bleu. En Chine, Hergé fait du chemin de fer un véritable enjeu stratégique. Lors de l’épisode de Houkou, la circulation des trains est brutalement interrompue par la crue dramatique du Yang-Tsé-Kiang. Tintin se jette alors dans les flots pour sauver Tchang de la noyade, autant dire que la naissance d’une amitié indéfectible est palpable entre les remous du courant. Plus tard, l’album évoque l’attentat ferroviaire de Moukden, en septembre 1931, considéré comme le déclencheur de la guerre sino-japonaise. Tintin assiste à la destruction de lignes de chemin de fer par les Japonais, voyage dans des secteurs inondés, contourne le lac Poyang, et doit parfois renoncer au train devenu impraticable. Bref, avec Tintin, on ne s’ennuie jamais !
Faites place ! De l’autre côté de l’Atlantique, le rythme s’accélère dans Tintin en Amérique. Le reporter doit relier Chicago à la mystérieuse Redskincity. Deux jours de trajet sont ainsi nécessaires. En se basant sur une trentaine d’heures de train à une vitesse moyenne de 50 km/h, cela représente environ 1 500 km. A ce stade, Tintin en a vu défiler du rail. Trois lignes principales s’offrent à lui depuis Chicago : vers le Nord-Ouest et le Canada, vers Omaha, Cheyenne et Salt Lake City, ou vers le Sud-Ouest en direction de Kansas City, Salina puis Denver ou Pueblo. C’est cette troisième option que retient Hergé : un Ouest marqué par les plaines, le pétrole, les réserves indiennes et les premiers reliefs des Rocheuses. Le spectacle est à couper le souffle, mais pas le temps de lambiner, les dangers et les kilomètres se suivent comme des montagnes russes.
Nous revoilà sur la vieille Europe en un quart d’éclair. Même le Royaume-Uni ne résiste pas à son passage. Dans L’Île Noire, Tintin débarque à Douvres après la traversée de la Manche. Il prend ensuite le train vers une ville imaginaire, Puddlecombe, puis file vers Londres, Brighton, Glasgow et Carlisle. À un moment, il voyage même clandestinement sur un wagon-citerne de Loch Lomond Whisky. Train de voyageurs, train de marchandises, puis avion : l’Angleterre devient un terrain de jeu ferroviaire haletant. Il n’aura même pas le temps de goûter à la légendaire cuisine anglaise en première classe.
Allez, encore un effort ! Nous sommes arrivés au terminus de cet article en un temps décidément record. Sans crier gare, viennent les sommets vertigineux des Andes, dans Le Temple du Soleil. Arrivés au Pérou par Callao, le port de Lima, Tintin et Haddock montent dans le train vers La Oroya. La ligne suit la vallée du Rio Rimac et grimpe à 4 836 mètres d’altitude, sur un parcours de 173,8 km. Hergé s’appuie sur une documentation très précise pour décrire la puissance des locomotives, la nécessité de limiter le nombre de wagons et l’importance du freinage dans les descentes. Hormis les cactus, le moment le plus spectaculaire reste le passage sur le viaduc d’El Infiernillo, ouvrage achevé en 1908 après la construction de 63 tunnels et 58 viaducs. Ici, le voyage devient presque une épreuve d’équilibriste. N’est-ce pas, Capitaine ?
De Moscou à Chicago, de Bruxelles à Léopoldville, des rives du Yang-Tsé aux cimes andines, Tintin parcourt le monde au fil des rails, dans des trains de luxe, des convois bringuebalants, des lignes coloniales ou des viaducs suspendus dans le vide. Chez lui, chaque trajet est un récit, chaque itinéraire une aventure.
Alors en ce mois de décembre, quand les valises s’ouvrent dans les salons et que les quais se remplissent à nouveau, souvenons-nous que le plus beau des voyages commence parfois par un simple billet de train… et une houppette tournée vers l’horizon. Et si le voyage vous paraît long, pas de problème, car c'est une bonne occasion de se replonger dans un album !
Textes et images © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

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