Où est tombé l’étoile mystérieuse ? Une enquête au cœur des glaces
C’est une course-poursuite sans temps mort, ponctuée de coups bas et tordus, et d’un final qui ne manque pas de sel : retrouver un aérolithe dans l’immensité blanche de l’Arctique !
Et pourtant, dans L’Étoile mystérieuse, c’est une grande aventure qui, sous bien des égards, nous rappelle les grandes heures de l’exploration de l’Arctique. Pour nos amis, la recherche est celle d’un aérolithe, une pierre tombée du ciel qui flotte comme une île et deux expéditions fonçant à toute allure pour être la première à la rejoindre. L’Aurore, navire mené par le capitaine Haddock, avance entre les icebergs, tandis qu’un autre bâtiment, celui de Peary, progresse à vitesse maximale dans les glaces pour tenter de prendre de l’avance.
Une véritable course contre le froid, contre le temps et contre la concurrence s’engage. Lever l’ancre, hisser la voile, vérifier une dernière fois l’horloge du bord, aujourd’hui nous filons à toute vapeur vers un point perdu de l’Arctique !
La fin des temps est venue !
Ce qui frappe aujourd’hui, c’est à quel point Hergé a multiplié les indices pour que cette course puisse presque être reconstruite comme une enquête. Dans les marges des cases, sur les cadrans des horloges, dans les dialogues échangés par radio, apparaissent des relevés, des directions, des minutes, des coordonnées, des latitudes qui, mises ensemble, dessinent une géographie étonnamment réaliste. Les documents préparatoires le confirment. À partir de quelques données disséminées, il devient possible de localiser la zone probable de la chute, quelque part dans… mais chut ! pas tout de suite la révélation. Une précision rare dans une bande dessinée, et qui témoigne d’un Hergé encore une fois fasciné par l’exactitude.
Tout commence lorsque Tintin repère depuis l’hydravion une colonne de vapeur s’élevant dans un ciel clair. Un phénomène étrangement isolé, vertical, surgissant à l’est, comme une cicatrice encore chaude. « C’est le châtiment ! Faites pénitence ! La fin des temps est venue ! » Non, Philippulus, rien de tout ça.
En fait, c’est le premier signe que l’aérolithe, en touchant la mer, a provoqué un dégagement brutal de vapeur. De là, tout s’enchaîne. Tintin et Haddock volent exactement deux heures, de 10 h 15 à 12 h 15. Leur appareil, lancé à vitesse constante, décrit une bande de recherche parfaitement définie. Au sol, l’Aurore progresse en tenant compte de ces indications, tandis que l’expédition de Peary, elle aussi aguerrie, tente d’anticiper.
Ce jeu de renvois permet à Hergé de construire une véritable navigation. Les relèvements sont cohérents, les latitudes aussi, et même les observations météo correspondent à ce que l’on pourrait réellement rencontrer dans cette région du monde. On pourrait croire à un exercice de géographie polaire, mais tout vient simplement d’une bande dessinée dont les cases semblent soudain fonctionner comme un journal de bord !
Le diable est dans les détails
Ce n’est pas un hasard si Hergé a intégré Peary à cette course. Le nom appartient au célèbre explorateur américain Robert Peary, figure mythique des expéditions arctiques. En l’utilisant comme rival scientifique, Hergé donne un poids historique à l’intrigue, comme si l’aventure de Tintin s’inscrivait dans une longue lignée de conquêtes de l’extrême nord. Et parfois même, il arrive que ces expéditions réunissent de vieux bourlingueurs, à l’instar de ce bon vieux Chester. Chaque minute compte, chaque dérive peut faire perdre ou gagner l’aérolithe.
À mesure que l’on avance dans l’album, la zone de chute se resserre. Les relèvements et observations croisées finissent par définir une bande comprise entre le 8ᵉ et le 13ᵉ méridien, formant un angle de 20° avec le 9ᵉ, comme si l’album lui-même traçait une carte. L’aérolithe ne peut donc se trouver qu’à l’intersection de ces données, mais cette précision n’empêche pas le mystère de demeurer, car le fragment venu du ciel fond à vue d’œil, grignoté par une température qui le ronge seconde après seconde.
D’un côté, une rigueur presque mathématique, où Hergé s’amuse à frôler les limites du reportage. De l’autre, un émerveillement intact, celui de voir Tintin et Haddock avancer dans un monde immense et connu des scientifiques… Jan Mayen, le Spitzberg, la mer de Barents, les lignes de latitude, les longitudes marquées en rouge, tout compose une carte qui n’a rien d’une simple illustration et indique… la zone du Groenland.
Dénouement à fleur de peau
Et au final, ce n’est pas la rivalité qui l’emporte. Ce qui reste, c’est cette impression d’une enquête géographique menée au cœur du monde arctique, sous un ciel clair traversé de phénomènes inexpliqués. L’aérolithe n’est pas un trésor, pas un artefact, pas un secret d’État. C’est un fragment d’univers tombé sur notre planète, un morceau de nuit échoué dans la mer, et Tintin, fidèle à lui-même, s’y précipite avec une curiosité de scientifique et un cœur de voyageur.
Il y trouve, pêle-mêle, des "bébêtes" démesurées, notamment des araignées bien plus imposantes que celle qui avait un jour osé tomber sur la lentille du télescope du professeur Calys, ainsi que des champignons gigantesques qui se dissolvent en un clin d’œil… Si l’on veut comprendre pourquoi L’Étoile mystérieuse demeure un album si singulier, il suffit peut-être de regarder cette carte où les trajectoires s’entrecroisent. Elle semble nous dire qu’Hergé n’a jamais dessiné un simple décor. Il a dessiné un monde dans lequel on peut naviguer, calculer, chercher et parfois même, grâce à quelques indices perdus dans les cases, retrouver l’emplacement exact d’un fragment d’étoile englouti dans les eaux du Nord.
Et pour ceux qui iront jusqu’au bout de ces indices, pour ceux qui accepteront de se perdre entre les longitudes, les relèvements et les observations aériennes, une conclusion s’impose enfin, presque timidement : au fond de cette grande chasse polaire que raconte Hergé, tout ramène à un lieu bien précis, on parvient à situer l’aérolithe avec une marge d’erreur n’excédant pas 10% par G 20° E et L 84° N, non loin d’un promontoire que les cartes nomment… Cap Morris ! C’est là, selon toute vraisemblance, que l’éclat tombé du ciel a touché la mer avant de disparaître.
Textes et images © Hergé / Tintinimaginatio - 2025

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