S'agissant de la métamorphose physique et morale du capitaine, de l'épave à la dérive promis à brève échéance à la crise de délirium tremens à l'homme responsable qui se fait jour dès "L'Etoile mystérieuse" (on admire la manière dont, redevenu "dieu de la mer", à l'aise, souriant, pipe à la bouche, droit comme un "i", il rassure un Tintin titubant, lui exprimant la différence entre une "épouvantable tempête" et "un simple coup de tabac" qu'il… voir la suite
S'agissant de la métamorphose physique et morale du capitaine, de l'épave à la dérive promis à brève échéance à la crise de délirium tremens à l'homme responsable qui se fait jour dès "L'Etoile mystérieuse" (on admire la manière dont, redevenu "dieu de la mer", à l'aise, souriant, pipe à la bouche, droit comme un "i", il rassure un Tintin titubant, lui exprimant la différence entre une "épouvantable tempête" et "un simple coup de tabac" qu'il vient même de qualifier de "jolie brise" - EM, 25-III-1, 2 et 3 -), convenons cependant que "le naturel revient vite au galop" ...
Certes, il ne retombera plus jamais aussi bas mais, la suite de la saga tintinienne nous fera goûter les étapes de la lente "guérison" du capitaine ... émaillée de "rechutes" en autant d'étapes savoureuses relevant de la Science scénaristique hergéenne mêlant comique et dramatisme :
1° "Le Crabe aux pinces d'or" :
a) en dépit de la promesse faite "de ne plus boire" (CPO, 16-III-3 et 19-I-4), Haddock, fuyant le Karouboudjan dans un canot, se joue un film de fausses promesses, absorbe toute une bouteille de rhum et, ivre, met le feu aux rames ... ce qui entraîne un premier acte d'agression sur Tintin (CPO, p. 19 et 20) ;
b) même rechute, dans l'hydravion, avec du whisky (CPO, p. 25) et seconde agression, Haddock ayant cassé sa bouteille sur la tête de Tintin (!!!), ce qui met authentiquement leur vie en danger ;
c) au cours d'un authentique "chemin de Damas" (*) dans le désert, perdant conscience devant le mirage muant Tintin en "bouteille de champagne", le capitaine est à deux doigts de l'étrangler en une scène particulièrement violente (CPO, 30-II, III et IV) ... Scène à ce point traumatisante (sans Milou ... Dieu sait ce qui serait arrivé - CPO, 31-I-1 et 2 - !) que Tintin la revivra sur un mode encore plus violent sous la forme d'un effrayant cauchemar où il se verra prisonnier d'une bouteille de Bourgogne prêt à être à la fois transpercé et englouti !!! Jean-Marie Apostolidès l'analyse comme une véritable scène de tentative de viol homosexuel (!), le désir du capitaine muant ses yeux en une authentique "érection visuelle" (CPO, 32-IV-1 à 3) !!!
d) refusant "vertueusement" à la suite de Tintin l'alcool offert par le lieutenant Delcourt (CPO, 33-IV-2), Haddock chaparde les deux bouteilles qui seront brisées l'une après l'autre par les balles des fusils Berabers ... Scènes à ce point significatives que la première (CPO, 35-II-3) constitue l'argument de la couverture de l'album et que l'autre donnera lieu à l'homérique scène de ... "VENGEANCE !" (CPO, p. 37 et 38) ;
e) ayant perdu la trace de Tintin, Haddock s'enivre à nouveau (CPO, 41-IV-3), cause du scandale (P-P-POLICE ! PO-PO-POLICE !) et est embarqué par la police sous les yeux de Tom, l'homme de main préféré de Allan Thompson (CPO, p. 42) ;
f) la scène de soûlerie collective involontaire due aux vapeurs du vin, dans les caves d'Omar Ben Salaad (CPO, p. 55) ;
g) la causerie finale, "l'alcool, ennemi du marin", sur "Radio Centre" où Haddock est pris de malaise après avoir bu un verre d'eau : gag démontrant que le capitaine ne supportera décidément jamais l'eau !!!
(*) une des plus belle composition de Hergé : la vignette 28-IV qu'accentue encore cette page entière (p. 29) où l'on voit Tintin et Haddock marchant côte à côte (le bleu profond du ciel ... le jaune intense du sable ... l'immensité du désert !) ... Elles symbolisent leur future et indéfectible amitié !!!
2° "L'Etoile mystérieuse" :
a) promu, conséquemment à la "causerie" si malencontreusement interrompue, Président de la LMA ("Ligue des marins antialcooliques"), Haddock est à ce point en contradiction avec cette prestigieuse titulature que son armoire à pharmacie ne renferme que des bouteilles de whisky (EM, 15-III-4) ... qu'un défilé de marins offre à la vue du "comité directeur" de la LMA une cargaison de même espèce (EM, 20-IV-2) ... que, "pour faire plaisir" à son ami Chester, il prend "une goutte de whisky" (qui se révèle être un plein verre) dans son eau minérale (EM, 30-IV) et … qu'on le voit, tout à la fin, "préoccupé", arpenter le pont de l'Aurore guettant la "TERRE" car .. il n'y a "plus de whisky" (EM, 62-IV-3) ;
b) convenons que Tintin n'a pas de scrupule d'utiliser l'addiction de son compagnon et de boire "un doigt de whisky" ... pour lui remonter le moral (EM, 37-II et III). Il emploiera le même procédé dans "Coke en Stock" et "Tintin au Tibet" ...
3° "Le Secret de la Licorne" :
a) à trois reprises, Tintin empêche le capitaine d'illustrer - si l'on peut dire ! - le "feu" du récit des exploits de son ancêtre en s'enfilant de pleines rasades de whisky (SDL, 22-II-1 - 22-1V-1 - 23-IV-1) ... au point même que, ordinairement si regardant à l'égard de l'intempérance alcoolique de son chien, il préfère refiler à Milou le verre de whisky que de permettre au capitaine de joindre le geste à la parole ... d'où, une parenthèse humoristique d'un Milou rapidement saoul (SDL, 22-IV et 23-I) ;
b) à nouveau, mais involontairement, en fin d'album, Tintin empêche Haddock de s'enfiler deux verres de whisky (SDL, 61-II-1 et 62-II-2) ;
c) entre-temps, Haddock aura sacrifié une bouteille de cognac pour sauver Tintin menacé d'être abattu (SDL, 54-I-1 à 3) puis brisera lui-même celle que Nestor est allé lui chercher en "compensation" (SDL, 57-IV-3) !!!
4° "Le Trésor de Rackham le Rouge" :
a) la lecture de l'ordonnance de son médecin (TRR, 11-III-1 et 2), supprimant toute absorption d'alcool pour cause "d'insuffisance fonctionnelle du foie", déprime Haddock ;
b) il découvre, catastrophé, que le whisky embarqué sur le Sirius a été remplacé par les pièces détachées de l'appareil de Tournesol (TRR, p. 17 à 20) ;
c) la découverte d'une bouteille de rhum de la Jamaïque "vieux de deux cent cinquante ans" et absorbée illico (TRR, 43-I-2 et 3 a et b), occupe tout le reste de la journée : au moins douze autres bouteilles sont ramenées de l'épave de "La Licorne" (TRR, 44-II-3) que le capitaine sirote cette fois modérément (mais avec un plaisir évident) ;
5° "Les Sept boules de cristal" :
a) Haddock est à ce point à la recherche du secret du" tour" de l'illusionniste Bruno, "l'homme qui transforme l'eau en vin" (7BC, p 6), qu'il entraîne Tintin à la séance du soir ... Cet "argument" sert de prétexte à Hergé pour faire réapparaître d'anciens protagonistes ("goûtons" la manière dont Haddock s'étrangle avec un verre d'aguardiente - 7BC, 13-III-1, 2 et 3 -) et "lancer" l'intrigue ;
b) pris de boisson, il a le "courage" de jeter une pleine bouteille de whisky dans un bac d'eau ... ce dont profitera Milou (7BC, p. 53) ;
6° "Le Temple du Soleil" :
l'addiction de Haddock est moins visible ... si l'on excepte sa mine hilare après avoir dégusté du "pisco" (TS, 2-I-2) avant de se faire copieusement arroser pour la première fois par un lama (!) et ... la petite bouteille de whisky engloutie d'un trait après l'avalanche (TS, 32-I et II) ...
7° "Tintin au pays de l'or noir" :
attendu les avatars subis par cette aventure, l'intervention de Haddock est très tardive ... Il ne nous est donné de le considérer, un verre de whisky à la main, que tout à la fin (ON, 62-III-2) ... Whisky qu'il ne sirotera même pas du fait du pétard fusée qui lui explose en pleine figure (PCHTTT - ON, 62-III-3 -) !!!
8° "Objectif Lune" :
hormis la scène de l'avion où il refuse la moindre goutte de cette "infecte eau minérale" dans son whisky (OL, 3-I-3) que suit aussitôt le passage à la douane où, sa valise débordant de bouteilles de whisky, il doit payer "875 khors de droit d'entrée !... Bandes de pirates ! ..." (OL, 3-III-2) - situation qui sera reprise dans "Tintin au Tibet" - puis le "petit porto" offert par Tournesol (OL, 9-III-2) dont il s'asperge, "commotionné" qu'il est à la nouvelle qu'il a été "désigné volontaire" avec Tintin en vue du voyage sur la Lune (OL, 9-IV-4), la seule trace "visible" est cette interdiction signifiée par Wolff - on en comprendra la VRAIE raison plus tard - d'emporter une pleine caisse de whisky (OL, p. 49) ... ce qui donnera lieu à une certaine surprise dans l'album suivant ...
N'omettons cependant pas le bouchon de champagne qu'il a en partie avalé accidentellement et dont il est prêt d'étouffer - un comble ! - !!!
9° "On a marché sur la Lune" :
a) "surprise" que matérialise le pseudo "Traité d'astronomie", en réalité, un coffret renfermant deux bouteilles de whisky !!! Elle entraîne la première véritable rechute du capitaine mettant authentiquement en danger de mort l'équipage de la fusée, la SEULE engueulade de Tintin (OML, 11-III-2 et 3) et un "acte de contrition" d'Haddock de même espèce que dans "Le Crabe aux pinces d'or" (OML, 11-IV-2) ;
b) en plein drame du voyage de retour, Haddock, dépressif, s'enfile pleins verres de whisky et tombe dans un dangereux coma éthylique (OML, p. 56) ;
c) l'album finit en gag, Haddock sortant d'un coma qui paraissait désespéré à l'audition du mot "whisky" (OML, 61-IV-2 et 3) !!!
10° "L'Affaire Tournesol" :
on ne compte pas moins de SIX allusions au vin et à la soif glissées, avec un à-propos jubilatoire et assorties de mimiques éloquentes, par un Haddock alléché, tel le corbeau de la Fable, par la présence de la bouteille de Fendant et dès lors, devenu provisoirement étranger à l'enjeu comme au sort de Tournesol ... avant que de se voir autorisé par Topolino de se servir "si le cœur (lui) en dit" (AT, 26-III-3) ... Las ! Par deux fois, il est empêché de "communier" sur l'autel de Bacchus par un geste brusque de Tintin d'abord, l'explosion de la machine infernale déposée par les agents Bordures ensuite ... comme déjà, de saisissement, à son entrée dans la villa, à l'audition soudaine d'un menaçant "Ha ! Ha ! Ha ! ... C'est ce qui s'appelle se jeter dans la gueule du loup ..." se révélant être l'argument d'un feuilleton radiophonique - AT, 23-IV-3 - 24-I-1 -.
Scènes relevant de la même "technique" humoristique que, précédemment, dans "Le Secret de la Licorne" ...
11° "Coke en Stock" :
a) gags où l'on voit successivement Haddock "protéger" puis "perdre" son demi-litre de whisky ("un litre aux cent kilomètres" - CES, 19-IV-3 - !) … réveillé au bruit d'un bouchon d'une bouteille de cognac (CES, 22-I-3 a et b) et … enfiler toute une bouteille de rosé du Portugal (CES, 23-IV-1, a,b,c,d) avant que de mettre le feu à sa barbe !!!
b) scène où Haddock REFUSE le whisky d'Allan (CES, 42-II-1) que suit la géniale trouvaille de ce combat entre le "Bien" (l'ange gardien) et le "Mal" (le démon) en 42-II et IV ... qui pourrait bien refléter l'état d'Hergé, alors en pleine crise sentimentale ... Il utilisera à deux reprises le même "débat" manichéen dans "Tintin au Tibet", cette fois entre "l'ange gardien" et le "démon" de Milou (TET, 19-I et II et 46-IV-2) ...
12° "Tintin au Tibet" :
le sérieux, la profondeur et le dramatisme de cet album sont cependant distraits par de fines allusions humoristiques à l'addiction, devenue "raisonnable", du capitaine :
a) le sac de Haddock peut sembler seulement bourré de bouteilles de whisky (TAT, 14-III-3) ;
b) "une heure après le départ", le capitaine, sifflotant en tête de l'expédition puis dépassé successivement par le trio "Tintin-Tarkhey-Milou" et celui des porteurs (TAT, 15-III-1,2,3), constate qu'il "fait le zouave sur les routes du Népal", s'octroie "un petit réconfort liquide" et, marchant "au supercarburant", remonte en tête, dépassant la colonne en chantant à tue tête "Sambre et Meuse" (TAT, 15-IV-1,2,3) ; cette absorption donne alors lieu au cauchemar (TAT, 16-II et III) et au choc contre l'arbre (TAT, 16-III-2) ;
c) une bouteille, brisée dans le sac, est absorbée gouttes à gouttes par Milou ... d'où le premier "débat manichéen" entre "l'ange" et le "démon" Milou, la chute du chien dans le torrent et son sauvetage par Tintin qui lui passe un "savon" (TAT, p. 18 à 20) comme naguère dans "L'Île Noire" ;
d) le stock de whisky est finalement perdu par le choc avec le chorten (TAT, 21-IV-4) ;
e) l'allusion à la bière fermentée "Tchang" donnant lieu à un savoureux quiproquo (TAT, 23-III) ;
f) la dernière bouteille "rescapée" après le choc avec le chorten sera "fauchée" par le yéti (TAT, p. 23 à 27) !!!
Ce, sans omettre les deux fois où Tintin, comme dans "L'Etoile mystérieuse" et "Coke en Stock " utilise l'addiction du capitaine pour :
a) piquer son amour-propre vis-à-vis du yétis afin de le relancer dans la recherche de Tchang (TAT, 38-II-1,3 + III et IV) ;
b) essayer de le ranimer, lors qu'il vient de s'effondrer, épuisé (TAT, 43-II-3) ;
13° "Les Bijoux de la Castafiore" :
UNE SEULE scène : "l'apéritif" qu'il se verse, rentré de promenade (BLC, 5-III-1) et qu'il ne boira pas, s'en étant aspergé une première fois à la nouvelle de l'arrivée de la Castafiore (BLC, 5-IV-3), une seconde fois au bruit de la chute de Nestor (BLC, 6-III-1b), le reste du contenu ayant été envoyé dans les airs d'enthousiasme quand il croit erronément que le "Rossignol milanais" ne viendra pas (BLC, 7-I-2) ...
Notons par contre le verre de bière que s'enfile Lampion (BLC, 17-III-1) et le champagne saoulant copieusement les musiciens de la "Fanfare de Moulinsart" - dont le marbrier Boullu - (BLC, 30-II) ;
14° "Vol 714 pour Sydney"
à part le "rafraîchissement" (VPS, 1-IV-1) ... qu'il ne prendra finalement pas, étant invité par Carreidas à déguster le "Sani Cola", cette supposée "boisson très saine à la chlorophylle" (VPS, 5-I-2), en fait, un soda à ce point frelaté que, versé subrepticement dans une plante ornementale, celle-ci en périra dans l'instant (VPS, 7-I-3 - 7-III-3 et IV-1), et hormis sa ... "promesse", "s'ils sortent vivants de cette aventure ", de ne plus boire de whisky "pendant au moins quinze ... non huit ... non, disons, trois jours ! ... Voilà c'est promis !" (VPS, 25-IV-2), on ne le voit qu'une fois, tout à la fin, boire un verre de whisky (VPS, 60-IV-1) ;
La fin de la saga tintinienne sera l'occasion pour Hergé de mettre fin, à son insu et contre son gré, à l'addiction de Haddock en cette autre géniale trouvaille qu'est le médicament créé par Tournesol et donnant à l'alcool un goût tellement abominable qu'il en "guérit" Haddock malgré lui ("Tintin et les Picaros"), prolongée dans "L'Alph Art" sous la dénomination de "Stopalcool" !!!